L’écrivain Pierre Lunel, auteur de plusieurs ouvrages sur l’abbé Pierre, dont L’ abbé Pierre intime, paru récemment aux éditions Plon, plaide pour que la France remercie comme il se doit ce héros français.
Depuis quelque temps, l’État qui détient les clefs du Panthéon, vient d’en ouvrir la porte à nos héroïnes françaises, Simone Veil, Geneviève de Gaulle, Joséphine Baker et Gisèle Halimi… C’est épatant et profondément justifié. Toutes sont des grandes dames qui méritent-Ô combien !- d’y être. L’hôte de l’Élysée serait bien avisé de prolonger son effort en répondant à un souhait des Français : Faire une place à notre saint à nous, notre héros à la française : l’abbé Pierre. Mi-D’Artagnan, mi-Victor Hugo, mi-Cyrano, mi-Saint Vincent de Paul, il est à l’instar du général de Gaulle, une icône de la France. Les icônes ne meurent jamais et c’est pour cela que les Français s’en souviennent. L’État devrait y prêter l’oreille et écouter le cœur des Français. «Aux grands hommes, la patrie reconnaissante», peut-on lire sur le fronton du Panthéon… L’abbé Pierre est un grand homme et la patrie désire lui dire sa reconnaissance. Alors qu’est-ce qu’on attend ? Les Français ont-ils attendu l’opinion de l’Église pour en faire un saint ? Non… Ils l’ont canonisé depuis longtemps.
Résistant, fondateur d’une œuvre immense, urgentiste de la misère s’il en est, l’abbé Pierre a été de tous les combats dès qu’il s’agissait de relever ses frères à terre, misérables, découragés, désespérés. Il l’a fait jusqu’à sa mort au détriment d’une santé fragile, porté par une foi immense et par une compassion sans bornes au service des plus souffrants. Il était une âme géante dans un corps frêle. Dans ce combat ou plutôt cette mission, rien n’aurait su l’arrêter. Ni l’agacement des autorités d’État ni celui des autorités d’Église. Il disait leur fait aux uns comme aux autres. Vertement et sans langue de bois. Il y avait du Jean Baptiste en lui, le prophète qui enguirlandait le roi Hérode sans façons. Au service des plus pauvres d’entre nous, il n’avait peur de rien. Ni des menaces, ni du qu’en-dira-t-on, ni du cynisme des bien-pensants, ni de la couardise des égoïstes Il fustigeait l’indifférence vis-à-vis de l’autre dont notre société est en train de crever. Si l’Église tord le nez à l’idée d’en faire un saint du calendrier, c’est son affaire ! Certes il n’était pas parfait, il n’était qu’humain. Mais cet homme-là a poussé l’héroïsme jusqu’aux extrêmes, contre vents et marées. Il a accompli des miracles par milliers au cœur du peuple des «sans voix», ceux qu’on n’entend pas ou bien peu ou qu’on ne veut pas entendre.
« L’abbé Pierre était un héros du Bien au service d’une cause absolue : la liberté, le courage, le service de ceux qui souffrent de la misère et de l’injustice. C’est ainsi que se définissent un « grand homme » ou une « grande dame ».
Pierre Lunel
L’État, lui, n’a nul besoin de perfection. Crée par les hommes au service des hommes, donc par essence imparfaite, il n’est donc pas à même de juger de leur perfection. L’État a seulement besoin de grands exemples au service du Bien Commun. L’abbé Pierre était un héros du Bien au service d’une cause absolue : la liberté, le courage, le service de ceux qui souffrent de la misère et de l’injustice. C’est ainsi que se définissent un «grand homme» ou une «grande dame». Je ne suis pour ma part ni homme d’Église ni homme d’État, je ne suis qu’un écrivain ayant rencontré cet homme incroyable et suivi durant vingt -cinq ans. Il a bouleversé ma vie comme celle du plus grand nombre de Français. Comme il avait bouleversé Coluche venu quelques mois avant sa mort lui remettre un gros chèque, le «rab» de la première campagne des Restos du Cœur. J’ai toujours pensé que l’un des rôles de l’État est l’éducation au savoir, mais aussi aux valeurs essentielles de la vie, et qu’il se devait d’apprendre à nos contemporains jeunes et vieux l’exemple de celles et ceux qui défendent ces valeurs de toutes leurs forces. Et même jusqu’au péril de leur vie. L’abbé Pierre était de ceux-là. Il est l’héritier en droite ligne de Vincent de Paul «M. Vincent», celui qui prend la place du galérien à bout de forces. Il serait aujourd’hui auprès de tous ceux qui souffrent ; au côté de celles et ceux qui se lèvent contre toutes les dictatures laïques ou religieuses, qu’elles soient de Russie ou d’Iran. Héros imparfait parce que profondément humain, il n’en reste pas moins un héros de l’extrême. Un héros français. Un mythe vivant.
Je suis heureux de voir qu’en 2023 un réalisateur et des acteurs merveilleux racontent sur grand écran «l’abbé Pierre – Une vie de combats», présenté hors compétition au festival de Cannes. Je suis reconnaissant envers les médias qui n’ont pas hésité à évoquer mon dernier né cet «abbé Pierre intime» sorti en librairie, fruit de vingt ans de maturation. Cela signifie que cet homme n’est pas mort et que, pourtant, nous nous sentons orphelins. Nous n’avons pas perdu l’habitude d’admirer ce qui est beau et solidaire…Les plus de quinze mille messages reçus sur mes réseaux sociaux en témoignent. Ils se résument en ces quelques mots : «Il nous manque !». Comme sans doute nous manquent Gandhi, Martin Luther King et Mandela. Les Français sont comme ils sont, emportés et révolutionnaires, jaloux de leur liberté. Ils sont prompts à gueuler, à tailler des croupières à ceux qui nous gouvernent, mais ils distinguent parfaitement le bien du mal et ne prennent pas des vessies pour des lanternes… Ils se reconnaissent en l’abbé Pierre, «abbé furax» ! Ils n’aiment ni les méchants, ni les imbéciles ni les voyous. À ceux qui enlaidissent la terre, ils préfèrent ceux qui l’embellissent. Ils sont politiquement incorrects. Ils préfèrent les avocats aux procureurs, les vieux au regard d’enfant plutôt que les grincheux et les poètes plutôt que les inquisiteurs. D’instinct, ils préfèrent Jean Valjean à Javert et le Mgr Myriel des Misérables à l’avocat du diable. Ils préfèrent la part du bien à la part qui défaille et le geste qui honore à celui qui minore. Ils aiment les héros, les vrais ! L’abbé Pierre connaissait des colères et des faiblesses. Parce qu’il était grand, il lui arrivait, parfois –mais si rarement – d’être petit. À trop vivre en héros, l’humain parfois réclame son dû. Que pèse cela au regard de ce qu’il a bâti, de l’œuvre immense qu’il laisse et de sa compassion de tous les instants. Celle qui le faisait rompre une conversation avec François Mitterrand, l’homme qui croyait « aux forces de l’esprit », parce qu’un pauvre bougre entrouvrait sa porte… Cela en effet ne pèse rien. Strictement rien.
Dans quelques mois, le biopic sur l’abbé Pierre sortira dans les salles et les Français iront lui rendre hommage. Peu de temps après, en février 2024, la France se souviendra de l’appel «Mes amis, au secours !», il y a soixante- dix ans. Déjà. L’abbé Pierre doit entrer au Panthéon. Non pas pour lui, qui se trouve bien dans son petit cimetière normand d’Esteville avec ses Compagnons… Mais pour que la France puisse lui dire avec tendresse : «Merci pour tout ce que vous avez fait. » Ce ne serait que justice.
0 commentaires