Cela fait longtemps que je veux marcher vers Assise… Là je veux aller pour comprendre certaines choses ressenties quand j’étais enfant et que j’ai oubliées. Pour retrouver son âme, on a besoin parfois d’une étoile car l’étoile est la boussole d’une âme. Minuscule mais étonnement brillante, perdue comme un point dans l’infini, à l’instar de celle qui tente de percer les ténèbres au creux de mon âme et qui me paraît pourtant si loin. Oui, cela fait longtemps que je veux marcher vers Assise…comme d’autres veulent marcher vers Jérusalem, Arunachala, Lourdes, Fatima, Compostelle ou Guadalupe… A chacun son chemin, à chacun son étoile. Cela importe peu, car au fond c’est la même. Celle des âmes meurtries mais qui espèrent, qui pleurent et qui chantent. Les âmes insatisfaites. L’étoile des âmes des fous.
Est-il étrange d’avoir tant tardé à me mettre en chemin ? Non, car n’est pas fou qui désire l’être. Il ne s‘agit pas d’une caresse mais d’une brûlure. Il faut s’entraîner à être fou, avant de rompre avec le passé pour accepter le présent pour soi et la promesse du futur pour notre mère la terre. Le désir, l’envie, la décision même ne suffisent pas à ouvrir vers le sacré, à ramasser son énergie, corps et ce qui reste de l’âme, vers le possible et même l’impossible. L’élan ne vaut que s’il dure et je n’ai à lui offrir, jusqu’ici, que des vagues et des ressauts, des montées et des chutes gagnées sur le vide. Le vide des désirs légers et des vanités inachevées. Mais l’élan ressurgit, pour me montrer qu’il n’est pas mort, avec la soudaineté impérieuse des volcans en réveil. Certains désirs sont ainsi, ils ne meurent jamais parce qu’ils naissent de la grâce. Ce ne sont pas ces désirs qui s’évaporent comme l’écume de la vague que l’on voudrait conserver éternelle dans le creux de la main.
Non, ces désirs—là sont ceux de l’âme et non ceux du corps avec son entrelacs de muscles, d’organes, de sentiments et d’émotions Les désirs de l’âme ne répondent pas à une envie ou à un besoin ; ils sont un autre ordre. Ils répondent à un appel venu d’un ailleurs improbable, d’un signe reçu et accepté. Ce signe appelle en nous une volonté inconnue et puissante qui ne nous appartient pas, qui annonce plutôt qu’elle soumet, qui nous chuchote au milieu des cris de la terre. Elle nous dit que nous sommes reliés aux autres et à l’infini non pour répondre à la solitude ou à la peur mais pour être heureux. Et si le bonheur que l’on décide, c’était cela ? Celui d’accepter un appel, un signe, une volonté extérieure, une annonce ? Et si le bonheur résidait dans cette attente pleine d’élan et non dans l’impatience du vide ? S’il n’était que cette annonce de l’éternel retour à l’essence de ce que nous sommes ? Une annonce qui s’adresse à notre part divine ?
Attendre pour se mettre en route… Non pas immobiles mais ardents. Dans l’espérance et non pas impatients…Attendre que l’annonce jaillisse de la pureté de notre cœur d’enfant. Un cœur qui n’est pas d’un mousquetaire ou d’un Don Quichotte à l’assaut des moulins à vent, mais un cœur de Petit Prince affamé de ce qui est beau. Un petit prince, tel un roi mage d’orient ou un pèlerin marchant pieds nus et heureux dans le sable du désert. Tous ont attendu que scintille l’étoile dans leur cœur. Quand brille l’étoile c’est le signe que la décision devient sacrée. Elle est acquiescement. Acquiescement à qui ? A quoi ? On ne saura jamais vraiment. L’étoile brille comme nulle autre, pourtant elle n’éclaire qu’une part du mystère qui nous fait aller vers nous-mêmes dans l’oubli de nous –mêmes . Nous acquiesçons d’un cœur pur. Notre d’humilité est enthousiaste. Nous nous sentons capables de voyager au bout de la nuit pour la simple joie de découvrir l’ aurore. C’est cela le bonheur. Accepter dans l’humilité, se mettre en route dans l’enthousiasme , encore dans la nuit ou la pénombre de l’aube et marcher vers l’espérance.. Accepter de voir briller l’étoile au-dedans, à défaut d’être au dessus de nos têtes. Voyager dans l’ombre nous rappelle notre condition, celle de n’être qu’un soupçon infinitésimal d’infini, un minuscule copeau de vie corporelle animé d’un murmure. Un murmure divin.
Cela fait longtemps que je veux marcher vers Assise… C’est que depuis le temps où François parlait aux oiseaux, rien n’est fondamentalement changé sur notre terre Depuis le XIIIème siècle , rien n’aurait changé ? Serait-il fou celui qui le prétend ? Ou bien lucide de la lucidité des fous, celle qui échappe à la raison pour voir la vérité sous la déraison. Oui, nous sommes plus vieux de quelques siècles , nous vivons plus vieux aussi, nous sommes 9 milliards au lieu de quelques centaines de millions, nous voyageons comme des oiseaux à l’autre bout de la terre, nous avons inventé la télévision, le téléphone et les logiciels… Tout ceci est vrai ; mais pour l’essentiel, avons-nous vraiment changé ? Hier on maitrisait à peine les océans dont on fait aujourd’hui une eau morte, hier les forêts étaient remplis d’elfes et de lutins, de magiciens et de sorciers et même de Robins des bois sauveurs de paysans ; aujourd’hui on les brûle pour piller le sol et ensemencer la terre. Mais pour le reste, rien n’a vraiment changé.
Si je veux marcher vers Assise , c’est que l’attente est là et le signe aussi. Y répondre est ma part de sacré. Marcher peut être regardé comme absurde alors qu’il est aujourd’hui si simple d’ aller autrement et plus vite. Mais la rapidité ne compte pas puisque le sacré est hors du temps . Retrouver le secret du bonheur exige la lenteur. Le désir est immédiat et l’amour est très lent. L’un est une requête, l’autre est une prière. L’un est de la terre et l’autre d‘ailleurs. Assise n’est pas réponse à un désir d’objet ou un désir de conquête . Il s’agit de soulever le voile d’un mystère qui recèle tous les possibles et qui offre le bonheur à nos yeux éblouis . Celui qui guérit et qui sauve, le talisman de l’espérance et de la paix. Nous voulons depuis toujours trouver le bonheur. C’est notre seule quête. Nous l’avions rencontré et vécu quand nous étions enfants et nous l’avons perdu. La vie est le chemin des retrouvailles avec le bonheur en nous ensommeillé sous les décombres. Le sacré sera toujours stupide aux yeux des cyniques mais cela fait bien longtemps que ceux-là sont morts pensant avoir vécu. L’alchimiste du bonheur, lui, chemine au hasard d’une légende qui reste vivante jusqu’à la fin des temps . Werner Herzog le cinéaste fou chemine à pied de Munich à Paris à la suite d’une attente, d’un signe et d’une acceptation et obtient par sa marche sacrée la guérison d’une amie mourante .
Sans ce triple viatique, l’attente, le signe et le sacré , inutile de partir car nous serions aveugles, muets et impuissants . Il s’agit de voyages sans retour, on ne les faits qu’une fois. On peut en arpenter plusieurs fois le chemin , il s’agit en fait du même voyage car le temps est aboli et la grâce ne passe qu’une fois. L’étoile n’a pas été envoyée deux fois aux rois mages qui attendaient un signe pour se mettre en chemin . Il est des destinations où notre cœur n’aborde qu’une fois , laissant à la nostalgie le soin de prendre un improbable relais.
Cela fait longtemps que j’attends… Au risque d’être trop vieux pour chausser mes semelles de vent , celles qui conviennent à l’enfant aux jarrets intrépides, celles de l’enthousiasme des printemps et de l’espérance de l’aube . Il me faut attendre … Je ne saurai partir car le signe ne se contente pas du désir de marcher. Il y faut l’élan.
À suivre…
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