Suivez ici tous les 15 jours la méditation de Pierre Lunel sur l’ esprit d’ enfance.
L’ esprit d’enfance est une grâce. Le conserver durant toute sa vie est possible. Il s’agit de faire de sa vie un émerveillement.
3ème postAdulte , mon enfance ne m’intéresse pas, pas plus qu’elle n’ intéresse personne, ni plus ni moins qu’une autre enfance. En rien… Si notre enfance nous devient étrangère, c’est qu’à nos yeux aveugles il ne s’y passe rien, c’est-à-dire qu’il s’y passe tout mais que nous ne voyons pas. Si nous avions pu voir c’est-à-dire ressentir dans toute sa force la vérité que l’enfance porte en elle, nous ne l’aurions pas quittée ou nous aurions tout fait pour ne jamais la perdre , pour interrompre l’écoulement des jours . C’est trop tard. Nous sommes devenus aveugles et sourds à la parole de l’enfance, celle qui nous vient de l’au-delà du temps.
Cette défaillance nous concerne tous, qui que nous soyons, puissants et misérables, riches et pauvres , grands et petits ; les uns happés par des désirs inaccessibles, les autres impuissants à trouver le bonheur dans le monde des désirs. Inassouvis pour les uns, assouvis pour les autres, les désirs font de nous des aveugles et des sourds, des emmurés ou encore des égarés dans des déserts sans fin. L’enfance ? A quoi bon ? Elle est un temps inutile, une perte de temps. Même chez les rois.
Aux yeux de l’adulte, un roi n’est enfant que dans l’attente d’un futur et non dans le plein de l’instant présent . Il n’est enfant que dans l’attente de sa majorité, le seul qui vaille puisqu’il va gouverner , donc enfin exister.. En attendant, il… attend. Un enfant n’est qu’un petit roi en herbe aux yeux de l’adulte dans la peau duquel il sera un jour roi. L’enfant n’intéresse pas dans le roi, seul l’enfant–roi intéresse.
Je suis troublé par le peu de secret levé sur l’enfance des rois , des princes et des grands de ce monde . En regardant l’enfant qu’il est, on imagine le roi qu’il sera et on ne lève le voile que de ce qui permet de comprendre l’après. Les chroniqueurs ne nous livrent rien des misérables traces d’un vide trop plein pour être avoué, d’un grenier fermé sur lui-même que seule la clé d’une âme d’enfant sait ouvrir. Seuls les poètes y parviennent, parce que, même devenus vieux, ils gardent une âme d’enfant et que, même s’ils l’ont perdue ils sont reliés d’une manière étrange à l’âme du monde qui garde tous les secrets .
Victor Hugo réussit à tirer de sa mémoire la vérité nue de son bonheur d’enfant aux Feuillantines tandis qu’Héroard ne parvient qu’à noter les coliques de l’enfant Louis XIII sans rien dire du mystère de l’enfant-roi. Nul chroniqueur ne parvient à ressusciter les rêves de l’enfant Témoudjin et Gengis Khan nous donne le sentiment d’être né adulte . L’enfance de Jésus ? Elle est aussi obscure qu’un tombeau alors qu’elle est déjà baignée dans la lumière vive. On sait peu de choses du jaillissement de l’amour dans l’enfance des saints .
Pourtant un jour j’ai hérité d’un diamant par la grâce d’un don : L’abbé Pierre me confia ses « carnets intimes » d’adolescent . C’est alors seulement que j’ai pu comprendre . Hormis ces diamants volés au temps qui passe, le bonheur de l’enfant , comme l’écume de la vague, s’évapore en un instant.
L’amour est une parole que nul n’entend parce qu’elle n’appartient pas à un langage et qu’elle diffuse, muette et incomprise comme la grâce initiale par laquelle tout fût créé. L’amour est le big- bang de l’âme. Si je ne suis pas simplement le fruit de la rencontre de deux cellules mais de deux vies animées d’amour qui procèdent de l’éternité, c’est qu’il est en chacun d’entre nous une part de divin, aussi bien que dans la libellule et le ver de terre. Afin de retrouver en nos cœurs le langage d’amour, abandonne –toi, tel un vivant, aux événements comme tu le fais aux tournants de la route, aux aspérités du chemin… Chemine en t’adaptant, en acceptant , en souriant. A l’arrivée, tu croiras un peu plus au tout possible que l’Amour pourrait naître de toi.
Cela fait si longtemps que je veux marcher vers Assise , là où m’appelle mon âme d’enfant. Enkystée dans le roc des désirs inutiles , mon âme cherche le chevalier qui pourra l’en sortir. Elle demeure enfouie sous les décombres et n’attend qu’une main secourable pour retrouver la lumière et entendre à nouveau cette parole qui m’a bercée enfant. Abandonnée dans la solitude des déserts, elle murmure en moi, à peine audible au milieu du vacarme , elle me demande de me mettre en route sans attendre le signe ni l’étoile qui pourrait me guider.
Elle m’ enjoint d’être fou. Elle nous l’enjoint à tous .Ne faut-il pas être fou pour retrouver la raison ? Être fou pour arrêter le temps et creuser profond pour découvrir, cachée mais intacte la parole d’amour qui est celle du bonheur de l’enfant ? Oui, il faut être fou pour s’en aller danser avec les fous qui sont les plus sensés des vivants puisqu’ils ont compris de quel souffle est animée la vie et montré le chemin de l’harmonie du monde. Notre monde va mal parce qu’il perd son âme d’enfant comme nous avons perdu la nôtre. Retrouver la santé d’un vivant dépend de la parole d’amour que nous avons perdue. François d’Assise suivi en cela par tant de saints et tant de fous, nous dit : « l’amour n’est pas aimé ».
Nul médecin, nul savant, nulle intelligence ne trouvera le remède au mal dont souffre la terre si nous ne recousons pas la tunique déchirée de notre âme d’enfant qui est celle de notre mère la terre. À nous, d’aller en cette découverte au milieu du flot des désirs où la parole d’amour se perd. à nous de retrouver le chemin de l’âme dans le dédale des vanités du corps, d’aller à l’essentiel, qui est retour sur soi et élan vers le futur. Danser avec les fous, c’est chercher l’étincelle du monde dans une parole qu’on ne comprend pas , qui n’est pas à comprendre parce qu’elle est la vie. La vie qui n’ est rien d’autre qu’une liberté pour apprendre à aimer.
À suivre…
0 commentaires